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12/03/2024

Pharmaciens: choisir de travailler en région rurale

En région, où l’accès aux services de santé est parfois difficile, le pharmacien est appelé à occuper une place centrale. Escale en Montérégie-Ouest.
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La pharmacie de St-Chrysostome

Au cœur du paisible village de Saint-Chrysostome – Saint-Chrys, pour les intimes –, trône la seule et unique pharmacie de la localité de quelque 2600 âmes. En contexte de pénurie de médecins, l’endroit est un point névralgique de service pour la population: tout le village passe entre ses murs. À peine cinq minutes après m’être assise dans la chaleureuse salle d’attente, j’entends d’ailleurs des échos de patients évoquant le difficile accès à un médecin de famille.

Et le manque de personnel n’épargne pas le milieu de la pharmacie. «Quand j’ai terminé mes études, il y avait déjà une pénurie de pharmaciens, je n’ai pas eu de difficulté à me trouver un emploi de salariée», se souvient Lucie Senneville, l’une des trois pharmaciennes copropriétaires du Proxim. Avant de devenir associée à Saint-Chrysostome, celle-ci fut propriétaire d’une pharmacie à Sainte-Martine, un village en Montérégie à une quinzaine de kilomètres de Châteauguay. «J’avais vraiment un problème de recrutement – j’étais près de Montréal, mais quand même trop loin pour que les Montréalais acceptent de se déplacer», raconte-t-elle. Au bord de l’épuisement, elle s’est résolue à vendre.

L’enjeu du recrutement

S’il ne manque plus de bras à la pharmacie puisque les trois copropriétaires remplissent la majorité des plages horaires, Lucie Senneville doit néanmoins composer avec les défis vécus par d’autres pharmacies de la région: «Les pharmacies d’Ormstown et de Huntingdon ont décidé de fermer le dimanche, par manque de personnel. Ça va créer un trou dans le paysage», constate Mme Senneville, qui songe à ajuster ses heures pour compenser.

Recruter des ATP et autre personnel de plancher est aussi difficile lorsqu’on s’éloigne des centres. «Ça prend quelqu’un qui habite ici», note-t-elle. En effet, les salaires ne sont pas assez alléchants pour que quelqu’un s’y déplace quotidiennement. Et encore faut-il que ceux qui veulent y déménager puissent le faire. La pharmacienne évoque avoir tenté de recruter une technicienne prête à déménager sur place, mais sans auto et sans logement disponible à Saint-Chrysostome, le plan a avorté. «Le conseil municipal travaille fort pour attirer les gens, mais ça prend des terrains pour les maisons, et des logements», souligne-t-elle.

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Lucie Senneville
La pharmacienne Lucie Senneville (crédit: Lyne Lagüe, photographe)

À la recherche de solutions

Il reste difficile de recruter des pharmaciens dans ces régions traditionnellement agricoles, où peu de jeunes pharmaciens veulent retourner une fois formés. Les pharmacies, elles, peuvent difficilement rivaliser avec les agences de remplacement qui offrent d'alléchantes compensations.

Or, Lucie Senneville est catégorique: les pharmaciens remplaçants ne sont pas une solution intéressante pour les pharmacies. En effet, si le pharmacien remplaçant y trouve son compte, avec un salaire élevé et des heures flexibles, pour les pharmacies, cela ne résout pas le problème: «Les remplaçants d’agence ne veulent pas travailler les soirs et les fins de semaine; donc si on réussit à recruter un pharmacien, c’est lui qui doit faire ces quarts peu désirables. C’est un cercle vicieux», déplore-t-elle.

La pharmacienne s’efforce donc d’offrir des stages pour faire découvrir la région et la pratique. L’autre façon d’attirer des pharmaciens, c’est de les associer. Mais cet engagement – qui requiert une très bonne entente entre associés – n’offre pas de retour instantané, ce qui rend cette solution peu attrayante pour les jeunes pharmaciens, avance Mme Senneville. «Il faut mettre les heures d’abord, et un jour, on est récompensé», observe-t-elle.

Et pour ce qui est d’offrir le télétravail aux pharmaciens pour faciliter le recrutement, l’option n’est pas tout à fait adaptée à la région, où l’internet haute vitesse n’est pas disponible partout.  «Les gens ne sont pas rendus là… Je donne quelques conseils par téléphone, mais ils veulent venir à la pharmacie», ajoute-t-elle.

Une pratique humaine 

Malgré tout, la pharmacienne originaire de Sherbrooke ne regrette pas de s’être établie en Montérégie-Ouest. «C’est une belle pratique, la clientèle est facile». Le rythme y est aussi différent, raconte-t-elle: «Je venais d’arriver. À un moment, la salle d’attente était pleine, et je n’avais pas de “paniers rouges” à traiter. C’est que les gens jasaient, simplement!»

Si au début, Lucie Senneville hésitait à faire ses courses au village par peur d’être trop sollicitée, elle s’est rendu compte que les clients n’avaient pas besoin de l’arrêter au milieu de l’épicerie: «Les gens connaissent mon horaire par cœur, et ils ont accès à moi», poursuit-t-elle. La pharmacie – et son aire d’attente accueillante avec ses quelques fauteuils – devient un point de rencontre pour le village. «C’est humain. Les clients ne trouvent pas ça grave d’attendre, parce qu’ils savent que quand c’est leur tour, ils sont bien servis», conclut-elle.

    Le pharmacien en renfort du médecin

    «Un des grands défis dans le Haut-Saint-Laurent, c’est l’accès aux soins de santé», évoque Lucie Senneville. Heureusement, depuis 2022, les pharmaciens peuvent intégrer les GMF, question de décharger les médecins. C’est le cas au Complexe de santé de Huntingdon, où la pharmacienne Emmanuelle Laflamme œuvre une journée par semaine. «Notre rôle, c’est de prendre en charge certaines choses une fois le diagnostic posé», explique-t-elle. «La pharmacienne répond aux questions, s’occupe des dossiers complexes et vérifie les interactions entre médicaments. Elle fait beaucoup de suivis, que le médecin n’a pas à faire», fait valoir la Dre Fabienne Djandji, copropriétaire de la clinique. 

    Les pharmaciens en GMF peuvent par exemple initier et ajuster certains traitements. Comme on évite les allers-retours entre pharmacien communautaire et médecin, les suivis sont plus fluides et rapides. «On fait le lien avec les pharmaciens communautaires ; moi j’ai accès à tous les dossiers, et je peux amorcer les traitements, parce que j’ai une entente de partenariat avec l’équipe médicale. Eux aussi sont en pénurie, donc si je peux aider un peu, ça leur sauve du temps», explique Emmanuelle Laflamme.


Ce reportage a été rendu possible grâce aux bourses d'excellence de l'Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ).

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