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13/06/2022

«Les activités cliniques, c’est le futur de la pharmacie»

Tirant parti des nouvelles activités accordées aux pharmaciens dans le cadre des lois 41 et 31, la pharmacie de Nirvishi Jawaheer, à Montréal, a implanté un programme pour les patients hypertendus et diabétiques. Trois ans plus tard, le retour d’expérience est positif.
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Comptoir de pharmacie Jean Coutu de Nirvishi Jawaheer, à Montréal.
Le comptoir de la pharmacie Jean Coutu de Nirvishi Jawaheer, à Montréal. Photo: Geoffrey Dirat

Les mercredis et jeudis sont des journées particulières à la pharmacie Jean Coutu de Nirvishi Jawaheer, située dans le quartier multiethnique de Parc-Extension, à Montréal. Ces après-midi-là, quatre pharmaciens sont présents derrière le comptoir, au lieu de trois les autres jours de la semaine. Ce professionnel supplémentaire est dévolu aux activités cliniques en lien avec le programme d’hypertension et de diabète déployé courant 2019 au sein de l’officine. 

«On s’adapte à la disponibilité des patients, mais on essaye de regrouper les consultations les mercredis et jeudis pour qu’elles s'insèrent facilement dans la chaîne de travail», explique Alexandre Chadi, l’un des huit pharmaciens de l’équipe (six à temps plein, deux à temps partiel) qui s’est particulièrement impliqué dans ce projet. Actuellement, une centaine de clients hypertendus (80% des bénéficiaires) et diabétiques (20%) bénéficient du programme. «Un nombre confortable» que la pharmacie souhaite stabiliser. 

«Ces activités prennent du temps — en moyenne cinq à six heures par semaine — et il faut pouvoir leur en déléguer. Un patient dont l’hypertension est stable, on le rencontre trois fois la première année. C’est du temps bien investi pour créer la relation, mais qui n’est pas rentable étant donné les tarifs des rencontres initiales et de suivi [16,64$ et 21,10$, NDLR]», observe le pharmacien salarié âgé de 32 ans qui concède «jouer» avec les différentes modalités de facturation. «Ça demeure un investissement à moyen et long terme», ajoute-t-il en soulignant que 80% des patients hypertendus ont acheté un tensiomètre grâce au programme. «Aujourd’hui, on est break-even sur le plan financier. C’est plus du marketing relationnel que transactionnel et ça correspond à la philosophie de notre pharmacienne propriétaire qui veut redonner à la communauté.»

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Le pharmacien communautaire Alexandre Chadi. Photo: Geoffrey Dirat
Alexandre Chadi est président de la Table locale des pharmaciens du Réseau local de services de la Montagne. Photo: Geoffrey Dirat

Au départ, il a fallu se familiariser avec les nouveaux actes issus de la loi 41. «C’est le futur de la pharmacie, mais ça reste un gros bateau sur lequel il faut embarquer. Il faut être à l’aise pour ajuster une prescription et il y a parfois des situations très grises», témoigne Alexandre Chadi. Le programme a ainsi été lancé en excluant les patients greffés, dialysés ou hypertendus réfractaires pour se concentrer sur les cas plus faciles. «On y est allé petit à petit, en mode apprentissage.» L’équipe s’est saisie d’opportunités comme des ruptures de stock, des rappels de Santé Canada ou des changements dans les lignes directes pour communiquer auprès des patients concernés et leur faire connaître les «nouvelles» compétences des pharmaciens.   

Les médecins plus enclins 

Il a ensuite fallu convaincre les médecins de ces patients. «Au début, seuls trois sur dix répondaient positivement à nos demandes de prise en charge», se souvient Alexandre Chadi. La pharmacie a alors investi dans un tensiomètre BpTRU qui a été installé dans le petit bureau adjacent au comptoir, dédié aux consultations des patients. «Ça a été un gage de légitimité aux yeux des médecins et ça nous a donné confiance dans nos démarches [auprès de ces derniers]», indique le jeune homme qui s’implique auprès de ses pairs comme président de la Table locale des pharmaciens du Réseau local de services de la Montagne.

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Depuis, la pandémie est passée par là et les mentalités ont, semble-t-il, changé. «Désormais, 80% des médecins acceptent nos demandes et on reçoit de plus en plus de prescriptions avec les cibles indiquées. La loi 31 nous a, quoi qu’il en soit, donné plus de latitude. On n’a plus besoin des cibles pour ajuster la dose d’un médicament ou modifier les temps de prise», souligne le pharmacien communautaire.

Les patients sont quant à eux «très réceptifs», estime Alexandre Chadi. La clientèle multiethnique de la pharmacie, où treize langues sont parlées pour répondre aux besoins des différentes communautés, est confrontée à des barrières d’accès au réseau de la santé. «On est leur porte d’entrée et on a bien souvent plus de temps à leur consacrer que leur médecin. Avec eux, on ne parle presque pas de pilules. On fait beaucoup de prévention, on les motive à changer leurs habitudes de vie. On devient un peu leur coach et ils apprécient ça», rapporte le trentenaire qui a constaté une amélioration de l’observance chez les bénéficiaires du programme — les cibles sont atteintes dans 90% des cas, alors que ce taux plafonnait à 30% auparavant. Au point que certains d’entre eux continuent d’y adhérer malgré leur déménagement dans un autre quartier.

À l’interne, l’ensemble de l’équipe a été mobilisé autour du programme, des stagiaires aux pharmaciens en passant par les assistants techniques et l’infirmière auxiliaire. «Les étudiants sont très motivés par le projet. Ils veulent concrétiser les belles choses qu’on leur enseigne à l’université», observe Alexandre Chadi qui ne peut que les comprendre. «La prise en charge et le suivi, c’est plus stimulant sur le plan intellectuel que de délivrer des conseils répétitifs sur l’Advil.»

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